Athlétisme : Record du monde du 100 m
© AFP Hayden Roger Celestin
Le 02/06/2008 -
"L'impossible c'est 9 sec," estime le chercheur Jean-François Toussaint, qui refuse de chiffrer la limite du record du monde du 100 m, battu samedi par le Jamaïcain Usain Bolt (9.72), mais évoque un prochain palier "probablement autour de 9 sec 65".
M. Toussaint dirige l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES), qui a publié en novembre une étude menée sur 3260 records du monde établis depuis 1896, selon laquelle la plupart des records tous sports confondus seront figés vers 2060, à conditions de pratique égales.
Q: Quel est selon vous le facteur déterminant dans ce nouveau record du monde du 100 m?
R: "La seule nouveauté de ce record, c'est la tendance à l'augmentation de la puissance musculaire par la hausse de la taille. On ne pensait pas possible qu'un athlète de 2 m coure aussi vite. Bolt (qui mesure 1,96 m, ndlr) a démontré le contraire. Cette tendance est visible dans tous les sports et est parallèle à l'augmentation de la taille et du poids des populations des pays développés, mais aussi de la population mondiale. Dans les pays développés, on atteint déjà un certain plafond et on a les prémices d'un ralentissement de l'augmentation de la taille et de la masse corporelle."
Q: Est-ce aussi vrai dans le sport?
R: "Pour contourner ce problème, le sport a cherché à élargir son vivier. En NBA (le championnat nord-américain de basket-ball), ils sont allés chercher des très grands dans le vivier mondial, d'abord en Europe, puis en Asie, mais le plateau a été atteint depuis 15 à 20 ans. Le décalage de taille entre le groupe des plus grands basketteurs et la moyenne de la population américaine s'est fait dans les années 80 et depuis l'écart s'est stabilisé. Comme le basket américain est allé chercher des représentants dans le monde entier, il y a peu de chances d'avoir des évolutions dans ce domaine-là. L'athlétisme ne l'avait pas encore fait. Il suit avec deux décennies d'écart."
Q: Va-t-il donc lui aussi atteindre un plafond physiologique?
R: "Tout dépend de l'évolution socio-économique. Si sur 100 m, la limite du vivier est en train d'être atteinte, on n'aura pas beaucoup de réserves, sauf si l'espèce est amenée à mesurer 3 ou 4 m de haut, ce qui n'est pas dans l'ordre de son évolution actuelle. J'ai l'impression que ce chemin n'est plus en croissance exponentielle vu l'évolution de la santé publique dans les pays développés."
Q: Où situez-vous la limite du record du monde du 100 m?
R: "L'impossible, c'est 9 sec. Bolt ne change pas la tendance. La +foudre+ (surnom de Bolt) frappe en 9 sec 72, pas en 9 sec 22. Nous ne sommes pas sur un schéma révolutionnaire, où l'on tendrait à courir le 100 m en 5 sec. Cela reste dans le cadre de l'évolution de ce que le 100 m a montré depuis l'ère olympique. Tel qu'on le voit, on descendra probablement autour des 9 sec 65."
Q: Le Jamaïcain Asafa Powell a déjà dit qu'il pouvait "courir dans les 9 sec 60".
R: "Il vont tous le dire car effectivement, il y en a un qui va le faire, courir sous les 9 sec 70. Il y en a qui le feront à l'eau claire. D'autres probablement moins. On n'a jamais vu autant d'athlètes dopés depuis 20 ans que sur cette course-là (trois anciens détenteurs du record du monde Ben Johnson, Tim Montgomery et Justin Gatlin ont été suspendus pour dopage, nldr). Là, on a l'impression que cela se joue sur un autre terrain: celui du gabarit. C'est une bonne chose. Et Bolt a une marge de progression dans les années à venir. Il est encore assez jeune (21 ans, ndlr). Le pic de forme d'un athlète pour atteindre ses records se situe entre 22 et 25 ans."
Q: Une fois les limites physiologiques atteintes, que reste-t-il pour progresser?
R: "La technologie est la seule qui puisse repousser les limites aujourd'hui. On le voit en natation avec les combinaisons, qui permettent d'améliorer de 2% environ les performances. En athlé, le seul moyen technologique, c'est de mettre des pistes de tumbling sous les pistes pour avoir une meilleure restitution de l'énergie. En gros, on met les lames de Pistorius (coureur paralympique autorisé à courir avec ses prothèses contre les valides, ndlr) sous la piste plutôt que sous les athlètes. Dans ce cas, les limites sont repoussées par la technologie et non par la physiologie."
Propos recueillis par Gaël FAVENNEC