Pour une rare fois lorsque le club et un membre important de son personnel se séparent, on a eu droit à la version des deux camps. Après
celle de Gabriel Gervais, ce fut en effet au tour d’Olivier Renard de s’exprimer. Une chose à laquelle, a-t-il répété à plusieurs reprises, il tenait beaucoup.
DE BONS MOTS, AUSSI POUR JOEY SAPUTO
D’ailleurs il a remercié la presse pour ce départ “dans le respect mutuel”, la famille Saputo, les joueurs, les supporters, Vassili Cremanzidis avec qui ils ont “travaillé main dans la main”, qui a “toutes les qualités pour gérer une équipe de haut niveau” et “à l’heure actuelle, est encore là” (on passera sur les supputations). Il a eu beaucoup de bons mots pour les jeunes du club et espère le bien pour leur avenir. On a aussi senti un Renard encore très concerné par le CF Montréal, en témoigne le nombre incalculable de fois où il a utilisé le “on” inclusif, même pour le présent et le futur, afin d’en parler.
Oui, bon, après les fleurs, vous attendez le pot… et vous connaissez Renard, même s’il trouve les mots pour le dire en douceur, il est un fin communicateur pour faire passer ses messages. Vous étiez certainement nombreux à vous attendre à ce qu’il le lance à Joey Saputo. Que nenni ! “Je sais que beaucoup de gens veulent m’entendre critiquer Joey, il n’y aura pas ça. Je veux lui dire merci, a-t-il même déclaré. Je suis prêt à retravailler avec lui, ailleurs ou ici. Je ne suis pas rancunier. Je pourrais peut-être revenir ici un jour, on ne sait jamais. Après, il faut être sur la même longueur d’ondes pour se remarier. Mais j’ai vraiment apprécié être ici.”
Il n’a certes pas caché que la haute direction avait des opinions qu’elle tentait de faire passer. Mais, fort de son expérience, il s’est empressé d’ajouter que ce n’était pas propre à Montréal, tout en expliquant comment, lui, il gérait ce genre de situation : “C’est certain que les décisions se passent dans les deux sens, donc il y en a eu venues d’en haut, mais ça se produit dans tous les clubs : des discussions sur des personnes qui pourraient aider, joueurs ou non. Et c’est arrivé que je sois contre certaines suggestions. Je ne suis pas arrivé pour dire ‘oui, oui, oui’. J’ai toujours donné mes idées et si je pensais qu’une erreur était faite, je le disais, avec respect.”
Autre raison souvent invoquée par les supporters qui, malgré la conférence de presse de Gabriel Gervais, semblaient manquer de concret : l’enveloppe accordée à la direction sportive pour faire tourner l’équipe. Là encore, Renard a dit qu’il s’en accommodait : “Je ne me suis jamais plaint de ce qu’on me donnait au niveau financier. Et c’est le cas depuis le premier jour, car si ça avait été un problème, je ne serais même pas venu.”
UN FREIN DE PLUS EN PLUS PRÉSENT
Alors, qu’est-ce qui a mis fin au mariage. Que s’est-il passé et quand ? L’année 2022 fut un moment charnière. Renard l’a citée on ne peut plus régulièrement pour expliquer la genèse de son départ. “Depuis 2022, et depuis le départ de Wil (Wilfried Nancy), ça a été différent pour Vassili et moi, pour le département sportif. Le mot grave n’est pas de mise. Pour reprendre celui du président, il y a eu des divergences, mais ça arrive avec tes patrons et tu le dis avec du respect. J’aurais pu être gentil, sourire et rester, mais ce n’est pas dans ma mentalité”, a-t-il déclaré, avant d’ajouter, au sujet de l’actuel entraîneur de Columbus : “Quand tu as un départ de joueur, tu dois trouver le prochain. Quand tu as le départ d’un coach, tu dois travailler sur plus de choses.”
On se doute cependant que ce n’est pas le départ d’un entraîneur qui a causé celui de Renard. Non, il y a ces fameuses divergences, mot utilisé par ce dernier car il voulait reprendre les termes de Gabriel Gervais. Alors, en saura-t-on un peu plus sur leur nature ? “Jusqu’en 2022, je ne vais pas dire que tout se passait bien, mais on avait notre façon de recruter avec Vassili. Ça a changé avec le départ de Wil et l’arrivée de Gabriel. Normalement, dans le sport, on dit qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Là, on a changé une méthode qui gagne. Ce qui a changé ? Le processus dans la façon de recruter : moi proposer à lui (Gervais), lui aller vers le CA et revenir avec une décision. Avant, je parlais avec la personne directement.”
Plusieurs fois, il s’est fait demander s’il y avait eu un déclic précis poussant à cette décision – la question lui a été posée à plusieurs reprises, dont une fois avec l’exemple spécifique du contrat de Mathieu Choinière, largement évoqué dans la presse. Mais pour Renard, c’était plus profond : “Depuis 2022, petit à petit, la méthode a changé et on s’est sentis de plus en plus distants dans ce qu’on voulait faire. Donc, ce n’est pas lié au contrat de Mathieu (Choinière) ou à un point particulier.”
Au contraire, l’ancien gardien de but espérait bien passer encore une bonne partie de sa carrière à Montréal. Mais… “ Les divergences sont de plus en plus présentes. J’ai mes idées, j’en parle avec plusieurs personnes mais quand, en fin de compte, tu sens que tu es freiné sur plusieurs points, il faut se mettre autour de la table et se demander, aussi bien pour eux que pour moi, si on continue. Ce n’est donc pas une question d’essoufflement. Je pensais rester encore longtemps. Chaque personne résiste à une façon de travailler ou pas.”
Si cette façon de travailler ne convenait visiblement pas à Renard, il a insisté pour dire que l’ambiance n’était pas délétère non plus : “Il ne faut pas croire que les derniers mois étaient tendus. Mais de plus en plus de petites décisions n’allaient pas du côté où le sportif pensait. Et on sent qu’il y a un frein. C’est peut-être un problème de mon côté, eux se disent ‘Olivier n’est plus l’homme idéal pour nous’, moi je pense autre chose et c’est à ce moment-là qu’il faut, en adultes, effectuer le meilleur choix.”
LE RÔLE DE GABRIEL GERVAIS
2022, processus de décision, frein : quand on rassemble les pièces, on en arrivée à l’arrivée de Gabriel Gervais à la présidence et à la question de savoir qui décide quoi. La semaine dernière, ce dernier avait été sans équivoque à ce sujet : “En tant que président, toutes les décisions sont de ma responsabilité, avait expliqué l’ancien défenseur central qui avait remporté le titre en USL avec le club en 2004. Quand il s’agit de décisions stratégiques, il y a le conseil d’administration, les propriétaires : nous nous rencontrons souvent.”
Et, visiblement, ça a fait tomber Renard de sa chaise… “Il a expliqué le processus exact depuis son arrivée en 2022. J’ai été surpris par le fait qu’il prenne la décision finale. C’est bien car j’ai entendu une chose que je me demandais parfois sans avoir la réponse.”
Ce qui l’a poussé à clarifier les rôles de Gervais et Saputo, maintenant qu’il connaissait mieux le fonctionnement interne (il est quand même surprenant qu’en tant que vice-président, il le découvre aussi tard) : “Si j’étais propriétaire, j’aimerais savoir où j’investis. S’il y a des questionnements ou des refus, j’accepte ça, car le propriétaire doit savoir combien d’argent il doit dépenser. Je pars du principe que je n’ai pas les pleins pouvoirs. Je n’ai jamais eu de problème avec ça et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai prolongé mon contrat. Mais depuis 2022, le processus a un petit peu changé et c’est Gabriel qui allait directement parler avec certaines personnes. Mais j’étais surpris que ce soit son ‘oui’ final.”
CROQUE-MONSIEUR
Visiblement, les divergences étaient donc davantage avec le président qu’avec le propriétaire. Et elles concernent, selon Renard, la vision du club qui, il faut l’admettre (qu’on l’apprécie ou non), a peu ou prou changé depuis son arrivée. “J’ai compris qu’on n’était pas sur la même idée du futur. Alors que la mienne n’a pas du tout changé : celle d’avoir une équipe jeune, excitante et avec une capacité de revente – parce que c’était mon mandat. Et je n’ai pas inventé un nouveau projet Olivier Renard. Quand Gabriel dit qu’on n’était plus sur la même longueur d’ondes sur le futur, pour moi, le projet est le même. Mais je parle pour moi.”
Alors, “oui, il y a eu des divergences, et c’est ça qui me pousse à partir”, a-t-il ajouté, mais il ne demandait pas un blanc-seing pour autant… tout en souhaitant discuter avec un interlocuteur crédible à ses yeux en fonction du sujet abordé : “C’est normal que le directeur sportif rende des comptes sur des joueurs qui n’ont pas l’apport escompté sur l’investissement. D’autres joueurs n’ont rien coûté, même en salaire, et ont rapporté beaucoup d’argent dans les ventes, et tout le monde était content à ce moment-là. Mais quand tu te fais challenger, tu dois savoir par qui tu te fais challenger. Si mon pain n’est pas bon, je ne vais pas aller challenger mon boulanger alors que moi je ne suis pas capable de faire un croque-monsieur.” Bon appétit ! Une glace avec ça ?
Renard semblait d’autant plus surpris que, selon ses dires, la communication interne ne fonctionnait pas de la même manière partout. Il l’a fait comprendre après que notre collègue Quentin Parisis lui demande si sa nomination au poste de vice-président était un cadeau empoisonné. “Je n’ai jamais demandé de l’être : on m’a proposé de me mettre là et j’ai accepté. L’important pour moi, c’est le sportif. Je donnais mon avis sur d’autres départements, mais ce n’est pas moi qui décidais. C’est un peu ce à quoi je m’attendais dans le sens inverse…”
Parlant d’autres départements, si on a bien compris que l’arrivée de Gervais a constitué un tournant pour lui, il a quand même souligné les mérites du président dans d’autres sphères du club : “Je parle de mon département en particulier. Dans les autres domaines, il faut souligner que Gabriel a fait beaucoup de bonnes choses.”
SON AVENIR ET LA DÉCEPTION DE SA FAMILLE
Contrairement à d’autres séparations entre le club et un membre important de son personnel, on a donc eu droit aux versions des deux camps. Et, autre contraste, la personne en question n’a pas disparu du jour au lendemain. Au contraire, Renard compte bien continuer d’aller voir ce qui reste une équipe chère à son cœur jusqu’au jour où il bouclera ses valises : “Quand tu décides de partir, c’est que ce n’est plus Roméo et Juliette. Mais je continue d’aller au stade, et dans le respect : c’est le plus important. Se faire arrêter encore maintenant dans la tribune, me faire demander des photos et remercier, ça fait même partie de mes meilleurs souvenirs. La déception c’est pour la famille. Ça a été compliqué pour mes enfants d’entendre ça, mais ils savent que papa fait un métier qui bouge.”
Parlant de bouger, sait-il de quoi sera fait son avenir ? “En ce moment, mon but est que les enfants réussissent leurs examens. Ils ont été choqués, ma fille a eu des difficultés à l’école. On ne va pas rester ici : même si on a énormément d’attaches, la vie continue. Mais ma fille, qui a 16 ans, aimerait revenir vivre ici plus tard, c’est la preuve qu’elle s’est vraiment bien amusée ici. Oui, j’ai déjà des touches. Est-ce que mon avenir sera en MLS ou ailleurs ? Je ne sais pas. Mais aucun accord n’est conclu à ce jour.”
Il est un fait certain que pas mal de supporters montréalais suivront la suite de sa carrière avec curiosité. Comme il l’est qu’ils sont encore plus nombreux à se demander comment Gabriel Gervais restructurera le département sportif, qui il nommera pour le diriger, comment il appliquera la politique du club et, surtout, si le successeur de Renard réussira à apporter au CF Montréal stabilité et vision claire, pas seulement dans les paroles mais aussi dans les actes,… voire, mieux encore, d’excellents résultats à long terme.
► Rejoignez la ligue ImpactSoccer.com